La raison d’être des entreprises : au-delà du profit

Dans un monde en pleine mutation, les entreprises font face à de nouveaux défis. Au-delà de la simple recherche de profit, elles sont appelées à redéfinir leur rôle dans la société. Cette évolution marque un tournant majeur dans la conception même de l’entreprise, désormais vue comme un acteur à part entière du progrès social et environnemental. Quelles sont les nouvelles missions qui incombent aux entreprises ? Comment peuvent-elles concilier performance économique et impact positif sur la société ? Plongeons au cœur de cette transformation qui redessine les contours du monde des affaires.

L’évolution du rôle de l’entreprise dans la société

Traditionnellement, l’entreprise était perçue comme une entité dont l’unique but était de générer des profits pour ses actionnaires. Cette vision, popularisée par l’économiste Milton Friedman dans les années 1970, a longtemps dominé le monde des affaires. Selon cette approche, la seule responsabilité sociale de l’entreprise était d’accroître ses bénéfices.

Cependant, cette conception a progressivement été remise en question. Les crises économiques successives, les scandales financiers et les préoccupations environnementales croissantes ont mis en lumière les limites de ce modèle. De plus en plus de voix se sont élevées pour demander aux entreprises de jouer un rôle plus actif dans la résolution des problèmes sociétaux.

Aujourd’hui, on assiste à un changement de paradigme. L’entreprise n’est plus seulement considérée comme un agent économique, mais comme un acteur social à part entière. Cette évolution se traduit par l’émergence de nouveaux concepts tels que la responsabilité sociale des entreprises (RSE), l’entreprise à mission ou encore l’économie sociale et solidaire.

Ce changement de perspective s’accompagne d’une redéfinition des objectifs de l’entreprise. Au-delà de la création de valeur pour les actionnaires, les entreprises sont désormais encouragées à prendre en compte les intérêts de l’ensemble de leurs parties prenantes : employés, clients, fournisseurs, communautés locales et environnement.

Les facteurs de cette évolution

Plusieurs facteurs ont contribué à cette transformation du rôle de l’entreprise :

  • La prise de conscience environnementale : face à l’urgence climatique, les entreprises sont appelées à réduire leur impact écologique et à contribuer à la transition vers une économie plus durable.
  • Les attentes sociétales : les consommateurs et les citoyens sont de plus en plus sensibles aux enjeux éthiques et sociaux. Ils attendent des entreprises qu’elles agissent de manière responsable et contribuent positivement à la société.
  • La pression réglementaire : de nombreux pays ont mis en place des législations encourageant ou obligeant les entreprises à prendre en compte leur impact social et environnemental.
  • L’évolution des mentalités au sein même des entreprises : de plus en plus de dirigeants et d’employés souhaitent donner du sens à leur travail et contribuer à des objectifs qui dépassent la simple recherche de profit.

Cette évolution ne se fait pas sans débats ni controverses. Certains critiques y voient une forme de greenwashing ou de communication opportuniste. D’autres s’interrogent sur la capacité des entreprises à concilier objectifs économiques et sociétaux. Néanmoins, cette tendance semble irréversible et redessine profondément le paysage économique.

Les nouvelles missions sociétales des entreprises

Face à ces évolutions, les entreprises sont amenées à se fixer de nouvelles missions qui vont au-delà de leurs objectifs économiques traditionnels. Ces missions sociétales peuvent prendre diverses formes et toucher différents domaines.

La protection de l’environnement

L’un des enjeux majeurs auxquels les entreprises sont confrontées est la lutte contre le changement climatique et la préservation des ressources naturelles. De nombreuses entreprises s’engagent ainsi à réduire leur empreinte carbone, à développer des produits et services plus respectueux de l’environnement, ou encore à promouvoir l’économie circulaire.

Par exemple, l’entreprise Patagonia, spécialisée dans les vêtements de plein air, a fait de la protection de l’environnement sa raison d’être. Elle s’engage à utiliser des matériaux durables, à réparer gratuitement ses produits pour prolonger leur durée de vie, et reverse 1% de son chiffre d’affaires à des associations environnementales.

L’inclusion et la diversité

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se donner pour mission de promouvoir l’inclusion et la diversité, que ce soit au sein de leur organisation ou dans la société en général. Cela peut se traduire par des politiques de recrutement inclusives, des programmes de formation à la diversité, ou encore des actions en faveur de l’égalité des chances.

L’entreprise de cosmétiques L’Oréal, par exemple, s’est fixé des objectifs ambitieux en matière de parité hommes-femmes à tous les niveaux de l’entreprise. Elle a également mis en place des programmes pour favoriser l’insertion professionnelle de personnes en situation de handicap ou issues de milieux défavorisés.

L’innovation sociale

Certaines entreprises se donnent pour mission de développer des innovations sociales, c’est-à-dire des solutions nouvelles répondant à des besoins sociaux non ou mal satisfaits. Cela peut concerner des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, le logement ou encore la mobilité.

L’entreprise sociale Grameen Danone Foods, née d’un partenariat entre le groupe Danone et la Grameen Bank du Muhammad Yunus, a ainsi pour mission de lutter contre la malnutrition infantile au Bangladesh. Elle produit et distribue des yaourts enrichis en nutriments à des prix accessibles aux populations les plus pauvres.

Le développement local

De nombreuses entreprises s’engagent à contribuer au développement des territoires où elles sont implantées. Cela peut passer par la création d’emplois locaux, le soutien à l’économie locale, ou encore la participation à des projets de développement communautaire.

Le groupe Danone, par exemple, a lancé le fonds Danone Communities qui investit dans des entreprises sociales ayant un impact positif sur les communautés locales, notamment dans les domaines de l’accès à l’eau potable et de la nutrition.

Les défis de la mise en œuvre des missions sociétales

Si l’idée d’intégrer des missions sociétales au cœur de la stratégie des entreprises fait son chemin, sa mise en œuvre ne va pas sans poser de nombreux défis.

Concilier performance économique et impact social

L’un des principaux défis consiste à trouver un équilibre entre la poursuite d’objectifs sociétaux et la nécessaire performance économique de l’entreprise. Comment s’assurer que les investissements réalisés dans des projets à impact social ne se fassent pas au détriment de la rentabilité de l’entreprise ?

Certaines entreprises parviennent à démontrer que performance économique et impact social peuvent aller de pair. C’est le cas de l’entreprise Unilever, qui a fait de la durabilité un axe central de sa stratégie. Le groupe a constaté que ses marques engagées dans des démarches durables connaissaient une croissance plus rapide que les autres.

Néanmoins, cette conciliation n’est pas toujours évidente et peut nécessiter des arbitrages difficiles. Les entreprises doivent apprendre à penser sur le long terme et à intégrer dans leurs calculs des bénéfices qui ne sont pas toujours immédiatement quantifiables en termes financiers.

Mesurer l’impact réel des actions menées

Un autre défi majeur réside dans la mesure de l’impact réel des actions menées par les entreprises dans le cadre de leurs missions sociétales. Comment évaluer de manière objective et fiable les effets d’une politique de diversité ou d’un programme de réduction des émissions de CO2 ?

De nombreuses initiatives ont vu le jour pour tenter de répondre à cette question. On peut citer par exemple le développement de normes ISO en matière de responsabilité sociétale, ou encore l’émergence de labels comme B Corp qui certifient l’engagement sociétal des entreprises.

Malgré ces avancées, la mesure de l’impact social et environnemental reste un exercice complexe, qui nécessite souvent de combiner des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Les entreprises doivent investir dans des outils de mesure et de reporting adaptés, tout en restant transparentes sur les limites de ces évaluations.

Impliquer l’ensemble des parties prenantes

La mise en œuvre de missions sociétales ne peut se faire sans l’implication de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Comment s’assurer que ces missions soient comprises et partagées par tous, des actionnaires aux employés en passant par les fournisseurs et les clients ?

Certaines entreprises ont choisi d’inscrire leurs missions sociétales dans leurs statuts, comme c’est le cas des entreprises à mission en France. D’autres mettent en place des processus de consultation et de co-construction de leurs engagements avec leurs parties prenantes.

L’enjeu est de créer une véritable culture d’entreprise autour de ces missions, qui ne doivent pas être perçues comme une contrainte ou une simple opération de communication, mais comme une partie intégrante de l’identité et de la stratégie de l’entreprise.

Perspectives d’avenir : vers une nouvelle définition de la performance

L’intégration de missions sociétales au cœur de la stratégie des entreprises ouvre la voie à une redéfinition de la notion même de performance. Au-delà des seuls indicateurs financiers, de nouveaux critères émergent pour évaluer la réussite d’une entreprise.

La triple bottom line

Le concept de triple bottom line, développé par John Elkington dans les années 1990, propose d’évaluer la performance des entreprises selon trois dimensions : économique, sociale et environnementale. Cette approche, souvent résumée par l’expression « People, Planet, Profit », gagne du terrain et inspire de nouvelles formes de reporting.

De plus en plus d’entreprises publient ainsi des rapports intégrés, qui présentent leurs résultats financiers aux côtés d’indicateurs sociaux et environnementaux. Cette pratique, encouragée par des initiatives comme la Global Reporting Initiative (GRI), contribue à une vision plus holistique de la performance des entreprises.

L’émergence de nouveaux indicateurs

Pour mesurer leur impact sociétal, les entreprises développent de nouveaux indicateurs, qui viennent compléter les traditionnels indicateurs financiers. On peut citer par exemple :

  • L’empreinte carbone pour évaluer l’impact environnemental
  • Le taux de diversité au sein des équipes pour mesurer l’inclusion
  • Le nombre de bénéficiaires touchés par les programmes sociaux de l’entreprise
  • L’indice de bien-être au travail des employés

Ces nouveaux indicateurs, s’ils ne sont pas encore standardisés, permettent aux entreprises de piloter leurs actions en faveur de leurs missions sociétales et de communiquer sur leurs progrès.

Vers une redéfinition du succès entrepreneurial

À plus long terme, c’est la définition même du succès entrepreneurial qui pourrait être amenée à évoluer. Au-delà de la croissance et des parts de marché, la capacité d’une entreprise à générer un impact positif sur la société et l’environnement pourrait devenir un critère central d’évaluation.

Cette évolution est déjà perceptible dans l’émergence de nouveaux modèles d’entreprises, comme les entreprises à mission ou les B Corp, qui placent explicitement leurs objectifs sociétaux au même niveau que leurs objectifs économiques.

Elle se reflète également dans l’évolution des attentes des investisseurs, avec le développement de l’investissement socialement responsable (ISR) et de l’impact investing. Ces approches visent à concilier performance financière et impact social ou environnemental positif.

L’intégration de missions sociétales au cœur de la stratégie des entreprises représente un changement profond dans la conception même de l’entreprise et de son rôle dans la société. Si cette évolution pose de nombreux défis, elle ouvre également la voie à de nouvelles opportunités pour les entreprises qui sauront se réinventer et aligner leur réussite économique avec un impact positif sur le monde qui les entoure.

Cette transformation du monde des affaires, bien qu’encore en cours, semble irréversible. Elle dessine les contours d’une économie plus responsable et inclusive, où les entreprises jouent un rôle central dans la résolution des grands défis sociétaux de notre temps. L’avenir dira si cette nouvelle approche permettra effectivement de concilier prospérité économique et progrès social et environnemental.